Article n°4 : MON REGARD DE COMÉDIEN
"Fais rire le public. Dissipe son ennui." disait Sacha Guitry dans Deburau. Et quand on est plusieurs sur scène, qu'on a bien préparé nos partitions, on a toutes les cartes en main pour dissiper l'ennui et faire rire le public. À plusieurs, nos énergies sont multipliées et la puissance comique peut atteindre des sommets. Chaque réplique, chaque mouvement est susceptible de provoquer d'immenses vagues de rire. De plus, grâce à la diversité des personnages, cela rajoute des gags aux situations et par la même occasion des possibilités comiques que je n'ai pas lors de mes one-man show et seul en scène. S'accorder sur le rythme avec mes partenaires est quelque chose de très galvanisant. On sent l'énergie de l'autre, on essaye de la décupler, il fait de même, et le public n'en est que satisfait.
J'adore faire du seul en scène humoristique, mais le rythme se travaille différemment, c'est plus difficile. Il faut amener les situations à nous, il faut conter l'histoire seul, et même si la récompense des rires nous revient en totalité, cela prend du temps avant de bien roder son spectacle, car notre partenaire est le public et les vraies répétitions se font en live. Tout en sachant que ce partenaire change à chaque fois. Tandis que la comédie en troupe se travaille plus méthodiquement en amont, on rôde ensemble, on se parle, on travaille notre sincérité dans le regard de l'autre et quand on monte sur scène on arrive moins sur le fait accompli.
C'est sur cette image que je m'appuie pour exprimer mon regard de comédien sur la comédie à plusieurs. Sur cet esprit d'équipe et sur cet échange d'énergie entre partenaires, qui permettent de donner énormément au public afin de le faire rire et de dissiper son ennui.
Je lis la pièce plusieurs fois pour comprendre au mieux mon personnage et celui des autres. Bien s'imprégner de l'histoire est essentiel et j'ai également besoin des détails que mon metteur en scène a tirés de son analyse de la pièce pour pouvoir affiner ma compréhension de celle-ci. Car il se peut que sur certains passages, lui et moi n'ayons pas vu la même chose, et il est donc important d'échanger ensemble afin qu'il me dise, finalement, ce qu'il faut saisir dans telle ou telle scène.
Le metteur en scène est un chef d'orchestre et je suis un de ses instruments. Il doit projeter à travers moi et les autres comédiens son idée qu'il a de l'œuvre ainsi que celle de l'auteur. Et nous nous devons jouer ces deux choses. C'est pour cela qu'il est primordial pour moi de bien analyser le récit afin que le travail d'après soit plus simple, ou du moins, qu'il ne soit pas freiné par des incompréhensions de texte. Car finalement, notre rôle de comédien n'est pas d'être beau et grand, mais simplement d'être le personnage et de mettre en valeur l'histoire écrite par l'auteur. Quand le public me regarde, il doit voir le personnage, rien d'autre. Même si ses traits de visage et sa voix sont similaires à la mienne, je m'oublie et je m'efface totalement pour le laisser s'exprimer devant les spectateurs. Car quelque part, moi je n'ai rien à dire, alors que lui, oui.
Dans la comédie culte "Le Père Noël est une ordure", créée par la troupe du Splendid en 1979, dont j'ai eu l'honneur de jouer le rôle de Pierre Mortez sur scène en 2023, j'ai encore une fois constaté l'importance du travail et du temps qu'il faut consacrer à l'étude de son personnage. Pierre est quelqu'un d'hypocrite, pervers et maladroit. En soi ce n'est pas le Joker, c'est un personnage assez simple dans l'univers de la comédie, mais après 3 mois de travail je ne me sentais pas avoir en moi encore toutes les clés et toute la psychologie de ce personnage. Ce n'est pas faute de m'y attaquer grandement, mais pour arriver à la transformation, pour arriver à être lui en totalité, il faut plus de temps et plus de pratique. Ceci dit, les premières représentations se sont bien passées, il y avait de la vie, des émotions, mais de mon point de vue il y avait encore un peu de Guillaume dans Pierre. Le seul moyen de corriger cela est simplement de continuer à chercher, pratiquer et répéter, tout en gardant l'esprit ouvert, au cas où une facette encore inconnue de notre personnage voudrait s'y glisser.
GUILLAUME DALIBARD, 29 AOÛT 2023
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