MON ŒIL D'ACTEUR


Article n°3 : MON ŒIL D'ACTEUR


PSYCHOLOGIE AVANT TOUT

Au tout début de mes 20 ans, alors que je n'étais pas encore artiste, j'ai commencé à étudier la psychologie de façon très amateur, c'est-à-dire que je lisais quelques livres ou articles après le travail, rien de plus, j'étais curieux. Mais cette curiosité a finalement fait naître une petite passion pour cet art et la vie a fait que ce bagage a été et est toujours pour moi un véritable support dans mon travail d'artiste, que ce dernier continue d'alimenter.

L'acting est psychologie, et un jour une notion psychologique, qui est presque à mon sens un pouvoir de guérison pour autrui, m'a fait comprendre les énormes bienfaits pour le public d'avoir des acteurs qui savent incarner des rôles. Cette notion m'a un peu dérouté quand je l'ai comprise, car malgré sa grande puissance humaine, il faut avoir le courage de mentir un petit peu avant de voir le miracle s'opérer.

Cette notion, si j'arrive à l'expliquer simplement, est le fait de dire à un ami désespéré ou déprimé : "je comprends". Honnêtement, la plupart du temps on ne peut pas vraiment comprendre ce que l'autre ressent, juste pour le fait de ne pas être entièrement à sa place, même si c'est notre copine ou notre frère, il y aura toujours des éléments qui nous échapperont. Mais être honnête en lui disant, "écoute je ne sais pas", ou pire, ne rien dire, ne fera que confirmer ce que notre désespéré pense déjà, c'est à dire : "je suis seul et personne ne me comprend". Alors que mentir légèrement en lui disant "je comprends", aura pour effet de lui enlever le poids de la solitude, ce qui ne résoudra sûrement pas son malheur, mais cela l'aidera à avancer.

Dans le film Au nom de la terre d'Edouard Bergeon, qui retrace l'histoire vrai de son père, agriculteur qui sombre dans la dépression le poussant jusqu'au suicide suite à l'endettement de sa ferme, la performance de l'acteur Guillaume Canet dans le rôle du père, transmet un peu le message "je comprends" à toutes les personnes qui connaissent de près ou de loin cette situation. Les gens se sentent compris et cela les aide à aller de l'avant. Le fils, la femme, chaque personnage dit subliminalement "je comprends, car je vis la même chose que toi" au spectateur. Pareil pour Pierre Niney et Anaïs Demoustier, quand ils incarnent un couple dont l'homme est un pompier grièvement brulé lors d'un incendie, dans le film Sauver ou périr. Pour les familles qui ont un proche qui exerce un métier à risque, le film et les personnages leurs disent "on vous comprend". Bien sûr Pierre Niney n'a pas sauté dans les flammes pour de bon afin de savoir ce que ça fait, il a fait sans, car c'est un acteur, il a le droit de mentir.

C'est dans ce sens que mon œil d'acteur se plonge : vers cette notion qui m'a donné encore plus à cœur de transmettre de bonnes émotions au public. S'approprier des vies et des émotions pour dire : on sait, on vous comprend et on montre au monde ce que vous vivez.

ÊTRE LE PERSONNAGE

La recherche constante du personnage que je dois jouer, est à mon sens un travail sans fin. Il faudrait vivre chaque jour de la vie du personnage pour arriver à être lui à 100%. Évidemment je ne peux pas faire cela, alors comme chaque acteur, je me réfère aux techniques et aux enseignements qui font le plus écho en moi.

Et comme pour beaucoup, c'est le Système Stanislavski, aussi appelé La Méthode, qui me parle le plus. Le but est de faire venir le personnage à nous et pas le contraire. Je trouve cette méthode très juste, car elle permet d'être naturellement le personnage. Ce n'est pas l'imiter, c'est l'être.

Il faut que j'échange beaucoup avec l'auteur pour comprendre mon personnage. J'ai besoin de savoir ce qui l'inquiète, ce qui le stimule, à quoi il jouait quand il était enfant, même si on n'en parle pas dans le film, car pour moi le détail est très important et c'est ce qui apportera encore plus de réalisme. Tous les jours je m'accorde du temps pour travailler mon personnage afin de découvrir ses mystères. Je me vois un peu comme un instrument de musique qui doit comprendre sa partition et trouver les notes cachées.

Parfois, et c'est souvent pour des rôles comiques qu'on me le demande, on me dit : "Pour le personnage, tu as carte blanche !". Dans ce cas j'ai rarement le nom du personnage, il faut que je me l'invente, et des fois je n'ai même pas de dialogue écrit, je dois improviser. C'est une méthode redoutable, car spontanée et mes amis réalisateurs savent qu'ils prennent un risque, mais pour moi c'est tellement amusant d'avoir carte blanche que finalement, même sans préparer le rôle, le résultat est souvent agréablement surprenant.

2 RÔLES MARQUANTS

Depuis quelques années je travaille un personnage de jeune complotiste, candide et honnête avec lui-même. C'est un rôle marquant car j'en suis également l'auteur et ce personnage évolue avec moi. C'est un travail de longue haleine que j'effectue au point que je sais exactement ce qu'il mange le matin et comment il range ses chaussettes. Je n'ai jamais eu l'occasion ou l'envie de dire quelque chose à propos de ses chaussettes, mais je sais exactement comment il les range. Ici on est sur une étude de personnage à long terme, qui est donc amené à évoluer, car il a mon âge et prend un an de plus chaque année, comme moi. Alors forcément, quand je le jouerai dans 10 ans il aura évolué et aura de nouvelles choses à dire.

Pour moi c'est une expérience très enrichissante et touchante, au point que parfois, sans que je le dirige, il me surprend.

Mon deuxième rôle marquant est celui où j'incarne Pierre, un homme légèrement autiste et sans emploi suite à un licenciement économique, qui va pour la énième fois demander un prêt à la banque pour démarrer sa petite entreprise de Food truck. Ce jour-là est encourageant pour lui, car il a tous les documents en bonne et due forme et la dernière fois le banquier lui avait dit que le prêt sera accepté une fois que ces documents lui seront apportés. Malheureusement au moment du rendez-vous, le banquier est snob, arrogant et lui refuse le prêt. Le drame arrive et Pierre sort une arme qu'il avait cachée dans son sac et prend en otage le banquier ainsi que son assistant. Il ne se sert pas de son pouvoir pour réclamer le prêt, mais plutôt pour obliger le banquier à aller sur la chaise du client, afin de se mettre dans la peau d'un homme au bout du rouleau sans emploi qui demande juste un peu d'aide. Il veut que le banquier ressente que le décideur du prêt à un droit de vie ou de mort sur lui.

C'était assez fort comme rôle, car il y avait ce côté légèrement autiste qui était un peu ma base pour ce personnage et ressentir sa détresse dans ces conditions a été assez émouvant. Ce film était court et préparé en quelques semaines et j'aurais apprécié étendre davantage le personnage, car malheureusement, si on me demandait, je ne saurais pas dire comment Pierre range ses chaussettes.

3 EN 1

C'est grâce à mes débuts dans le monde du spectacle vivant, en tant qu'humoriste, que j'ai directement pris l'habitude d'être comédien + auteur + metteur en scène de mes sketchs. Ce n'est vraiment pas facile, surtout quand on débute, car il y a beaucoup de choses à penser tout en devant rester naturel sur scène, comme si on n'avait rien préparé. Puis, comme pour tous les humoristes, je m'y suis habitué et j'ai trouvé un certain équilibre. Et cette casquette 3 en 1, j'ai décidé de la transposer sur mes projets cinéma.

Dans l'article n°2 sur mon approche de scénariste je parle de mon projet série appelé "2030", sur ce lequel je suis scénariste, mais aussi metteur en scène et acteur. La préparation du rôle que je fais n'est pas vraiment la même que sur les projets où je suis simplement acteur. Ici l'auteur et dialoguiste c'est moi, c'est à moi que je dois poser les questions sur le personnage et c'est à moi d'y répondre. Pour la mise en scène, pareil. Il y a un côté où cela peut paraître simple, mais c'est faux, il faut travailler trois fois plus et rester concentré pour ne pas se mélanger les pinceaux. Quand je suis dans des projets comme celui-ci, je n'ai pas le choix de découper méthodiquement mon planning afin d'avoir des temps précis pour travailler chaque partie. Forcément, je commence par travailler la partie récit et scénario avec le réalisateur, dans le but de ne plus avoir à y toucher après. Puis quand cette partie écriture est bouclée, je commence à préparer mon rôle en tant qu'acteur, je prends le scénario, je fais comme si le texte n'était pas de moi, et je commence à œuvrer ma partition.

J'arrive à un point où le fait de me segmenter sur un projet devient de plus en plus fluide, mais cela prend du temps et demande beaucoup d'efforts. Afin d'y arriver et d'essayer de rester toujours concentré et efficace, je n'ai pas le choix que d'adopter une hygiène de vie adaptée à mon travail. Sport, alimentation, sommeil, moins d'écran et plus de livres, sont des choses toutes basiques mais qui font une différence énorme. Je ne sais pas si elles nous permettent d'exceller, mais pour moi elles me permettent de tenir le cap et la ligne que je me suis fixée, afin d'avancer en évitant les burn-out, la fatigue et les baisses de moral, tout en maintenant éveillée une certaine créativité.

L'article prochain portera sur mon regard de comédien, qui joue des comédies sur scène. Acteur et comédien sont des synonymes, mais je fais personnellement la différence pour mieux distinguer la préparation d'acteur devant la caméra et celle de comédien qui projette beaucoup de corps et de mouvement lors d'une représentation en spectacle vivant.

GUILLAUME DALIBARD, 25 AOÛT 2023

Précédent : Article n°2 : MON APPROCHE DE SCÉNARISTE

Suivant : Article n°4 : MON REGARD DE COMÉDIEN


Références



Contact