Article n°2 : MON APPROCHE DE SCÉNARISTE
J'ai été marqué par une intervention de Bernard Werber qui expliquait pourquoi il écrivait des fictions (lien de la vidéo en bas). Il écrit des fictions, entre autres, car on l'a empêché de dire la vérité. Anciennement journaliste, il a été plusieurs fois empêché par sa rédaction d'écrire telle ou telle vérité sur des affaires survenues dans les villes où il était correspondant. Des enjeux politiques, des élections, ont pris le dessus sur ce que lui, journaliste, devait dire, car "toute vérité n'est pas bonne à dire".
Deux choses. La première est qu'effectivement, à l'image du constat de Bernard Werber, relater des faits réels ne sera qu'une occasion pour les gens que cela arrange des les encenser, autant qu'à l'inverse pour ceux que cela dérange, de les décrier. Pour moi c'est un problème car ça crée des conflits, ça crée des clans, et un auteur-scénariste bienveillant ne cherche pas à diviser, mais à rassembler.
La seconde : oui, raconter la vérité pure et dure dans son intégralité, c'est très courageux, c'est très noble, mais malheureusement, même sans pression extérieure, le public n'est pas très adepte de cette manière de lui présenter les choses. Que c'est dur de regarder la vérité en face, que c'est gênant, que c'est malaisant. C'est brut, c'est tranchant, c'est déroutant, c'est même parfois agressif. Ça ne veut pas dire que nous ne voulons pas entendre le vrai, ça veut dire qu'on ne souhaite pas que l'on nous l'impose. Car si c'est vrai, alors il n'y a pas de débat et quelque part on m'oblige à y croire. Les seuls défauts qu'on peut trouver à la vérité sont qu'elle est autoritaire et incontestable. Et à choisir, nous préférons la pédagogie à l'autorité. C'est là que la meilleure amie de l'auteur arrive : la Parabole.
Le public décodera, s'il le souhaite - en voilà l'un des grands charmes de la Parabole - le message codé par l'auteur. C'est très charmant, car il n'y a pas d'obligation de croire ou de ne pas croire, le message est caché et c'est le spectateur qui décidera par sa volonté, de l'entendre, ou non. Pas de conflit, pas de division, peut-on mieux faire ?
Parlons codage et prenons en exemple une morale (un message), qui dirait que le travail est une valeur primordiale et qu'il faut être prévoyant dans la vie pour éviter les drames. Travailler c'est fatigant, c'est contraignant, alors pourquoi le dire de cette manière au spectateur ? Va-t-il aimer l'entendre ? Non. Et pourquoi lui rappeler que s'il est feignant, il aura des problèmes ? C'est agressif comme manière de dire les choses, c'est même très autoritaire. Pourtant, dans la vie, le travail et la prévoyance sont deux qualités qui nous permettent d'être un peu plus en sécurité, et dans certains cas, de bien vivre.
Heureusement, un grand auteur français, très célèbre pour ses fables, a réussi à coder cette morale dans une Parabole. L'histoire s'appelle "La cigale et la fourmi" et on la retrouve dans l'œuvre Les Fables de La Fontaine. C'est donc la fable (fiction) imaginée par Jean de La Fontaine que j'ai décidé de citer comme exemple, car elle est douce, légère, vraie et son message caché, qui est que le travail et la prévoyance sont deux vertus à avoir, est transmis sans aucune agressivité au public. De plus, les personnages sont une cigale et une fourmi, alors comment se sentir visé quand on n'est pas un insecte ? (Texte de la fable en bas).
Voilà à peu près mon approche ainsi que ma vision sur la conception d'une histoire. Cacher la vérité dans une fiction, c'est ce qui m'intéresse en tant qu'auteur.
Maintenant, pour qu'une fiction écrite se traduise en image, il faut la scénariser. Alors voici un aperçu de mon travail de scénariste sur un de mes projets nommé "2030" que j'ai créé avec le réalisateur Anton Khan.
Je suis auteur avant d'être scénariste. Écrire des histoires est quelque chose que j'ai appris en faisant, en me trompant puis en réessayant, comme on le fait sur beaucoup de choses d'ailleurs. Par contre scénariste, je n'aurais pas pu le devenir sans avoir étudié des manuels et notamment celui-ci : L'anatomie du scénario de John Truby, qui est à mon sens une véritable bible. On peut tous être auteurs de quelque chose, il suffit d'écrire ce qu'on pense dans l'instant ou ce qu'on a observé dans la journée, c'est assez simple, ça peut tenir sur deux, trois lignes, une page, un enfant peut le faire. Mais concevoir un scénario c'est une autre paire de manches, il faut respecter des règles et des étapes ; c'est très technique. John Truby dans L'anatomie du scénario est très brillant, mais son ouvrage ne se lit pas facilement, c'est un cours très précis et chirurgical comme le promet le titre. On lit un chapitre à midi et on a plus faim le soir. On ressent énormément le work hard américain et c'est donc très enrichissant. En tout cas c'est principalement grâce à son enseignement que j'ai pu commencer à scénariser pour le cinéma donc, merci John !
En tant que scénariste, j'ai plusieurs possibilités pour concevoir mon récit. Cela peut très bien aller du petit film d'1 minute, au long-métrage d'1h30, en passant par des formats série de X épisodes. Pour mon premier long scénario, je choisis de l'écrire dans le format "série", avec comme ossature 6 épisodes de 20 minutes, car 2 heures d'histoire découpées en 6 volets me permettent de créer du suspens et d'amener des rebondissements assez rapidement. De plus, cela limite le risque d'avoir des longueurs dans l'histoire, ce qui est bien pour l'efficacité.
En termes d'organisation de travail, il est primordial pour moi de collaborer avec le réalisateur dès le début. D'accord j'ai l'histoire, le message à faire passer - que ce soit le mien ou celui d'un autre auteur d'ailleurs ; exemple : adaptation d'un roman - et plusieurs idées de structure scénique en tête, ça ne me suffit pas pour écrire le scénario dans son entièreté. Il faut que je connaisse les moyens que le réalisateur a pour tourner et que je m'y adapte. Si je ne l'attends pas pour écrire le scénario et que je mets en scène finale le méchant en train de s'enfuir en hélicoptère, et qu'on n'a pas d'hélicoptère, j'ai plus qu'à réécrire la scène et, comme c'est souvent le cas, à réadapter une partie de l'histoire. De plus, pour le projet, il faut savoir que le réalisateur a une vision, c'est un artiste, et je trouve toujours cela très efficace et pertinent pour le public de mélanger nos styles et nos façons de voir les choses. C'est donc pour cela que je choisis toujours d'écrire le scénario pas à pas avec le réalisateur.
Oui, la Parabole est de mise, forcément, car le message qui est dans la série "2030" est sombre et s'il est exposé à nu, il rendra le spectateur anxieux, et ce n'est pas ce que je veux. Alors pour éviter cela je l'ai déguisé avec des vêtements et des couleurs qu'on appelle gag, drôlerie, absurdité, légèreté.
Résumé : 1er janvier 2030, la France entre dans un système de point par habitant. Chaque personne est notée en fonction de son comportement dans la société. Anton et Guillaume, deux amis qui prennent la vie à la légère, vont très vite se faire rappeler à l'ordre.
Je suis parti du sujet de société qui porte le nom de Crédit social. Cela existe en Chine et c'est admis car c'est sous le couvert de la dictature. Chaque habitant est suivi à la trace par son gouvernement, chaque infraction commise entraîne le décompte de points sur le Crédit social du citoyen en question. Le manque de points empêche une personne d'acheter des billets de train, de réserver des hôtels de vacances, ou d'avoir le droit d'habiter en centre-ville. En gros, il faut se tenir à carreau. Cela permet au gouvernement de tenir le peuple, d'éviter des révoltes ou des renversements de pouvoir. C'est du contrôle de la population façon dictature moderne.
La vérité est que ce système inspire des sociétés dites "démocratiques", comme la France. C'est un paradoxe avec l'idée de démocratie et surtout avec celle de liberté, qui sont pour moi des valeurs à défendre. Cela reste mon avis.
Ceci étant dit, j'ai voulu imaginer si ce système arrivait chez nous, quelles conséquences cela aurait ? Et bien par exemple, dans ma fiction "2030", un personnage méchant, égoïste et avare, qu'on surnomme le Pirate à cause de sa jambe de bois, prend par surprise au petit matin un jeune homme en train de faire pipi en pleine nature, dans la rivière. Le Pirate, caché derrière les hautes herbes, filme la scène avec son téléphone et dénonce le jeune homme pour avoir "intoxiqué l'eau". Le jeune homme reçoit plus tard une amende et un retrait de points, ce qui implique dans ses droits une coupure d'internet et une interdiction à l'accès aux transports en commun, alors que le Pirate, lui, gagne des points et de l'argent.
La série se veut légère, simple et drôle. D'ailleurs, les adolescents de 10 à 19 ans, qui sont les principaux spectateurs, semblent absorbés par l'histoire et donnent souvent leur avis sur les situations, comme par exemple une jeune fille de 18 ans qui a réagi spontanément à une scène de délation du Pirate en disant "Ah mais c'est horrible !", ou un jeune homme de 14 ans qui jugeait que le fait de dénoncer des gens pour gagner des points c'était "abusé". Ils sont jeunes mais ils savent faire la différence entre ce qui est bien ou mal et la série est là pour les faire réfléchir sur thème d'un système autoritaire, tout en restant léger et drôle.
Prochainement j'écrirais un article sur mes activités d'acteur et de comédien et je reparlerais sûrement de "2030", car je joue l'un des deux rôles principaux et étant aussi celui qui écrit les dialogues, il y a des choses intéressantes à dire.
D'ailleurs, l'ambiance générale de mes activités artistiques se lie souvent à mes différentes casquettes (humoriste, scénariste, acteur, metteur en scène..), et souvent sur un même projet il m'arrive d'en porter plusieurs, ce que je trouve intéressant, dans une certaine limite.. mais là aussi, cela reste mon avis !
GUILLAUME DALIBARD, 22 AOÛT 2023
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Bernard Werber
Écrivain français.
Jean de La Fontaine
Poète et auteur français du 17e siècle.